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Témoignage de Catherine FERRIER, préfète du Tarn (France)

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      La crise Covid-19 vue du terrain : les préfets agissent dans l’ombre

      Texte communiqué par la Revue Administration avec l’aimable autorisation de leurs auteurs. 

      Catherine FERRIER, préfète du Tarn

       

      Pour un préfet l’enjeu d’une gestion de crise est toujours de sauver des vies. Le caractère inédit de la crise du Covid-19 ne tient donc pas pour nous à l’objectif poursuivi, mais à sa durée (plusieurs mois), et à son périmètre (non seulement toute la France mais aussi le monde entier).

      Quelles conséquences au plan opérationnel ?

      Comme pour toutes les crises, il nous faut :

      • coordonner et contrôler l’action des acteurs de terrain,
      • donner des consignes claires à la population,
      • maîtriser les risques de psychose,
      • répondre aux sollicitations quotidiennes des médias,
      • faire remonter au niveau central et zonal, les problèmes en suspens et demandes de moyens,
      • et toujours prendre le temps de réfléchir « au coup d’après » : anticiper.

      Ces missions sont particulièrement denses et complexes avec le Covid-19.

      D’abord parce que les acteurs de terrain sont nombreux : toutes les collectivités locales (maires et conseil départemental), les organismes consulaires et branches professionnelles pour le contact avec les entreprises, et les associations caritatives œuvrant auprès des personnes vulnérables ou proposant leur aide. Cela implique des demandes de précisions et de moyens que ces partenaires nous adressent presque quotidiennement, et donc des tensions faute de pouvoir satisfaire toutes ces demandes.

      Ensuite parce que le climat de défiance à l’égard de toutes les autorités publiques amplifie non seulement les critiques mais aussi les comportements irrationnels ou indisciplinés. Les polémiques politiques ne se sont pas arrêtées pendant la crise, bien au contraire. D’où un exercice très chronophage d’explication et de réponse individualisée à toutes les interrogations. Une grande partie du temps, avec cette crise, est consacrée à la gestion des irritants et à l’apaisement des tensions.

      Avec le Covid-19, s’ajoutent des contraintes supplémentaires peu habituelles en matière de gestion de crise. Il nous faut en effet :

      • harmoniser nos décisions avec celles des autres préfets pour ne pas créer des précédents non justifiés par des circonstances locales particulières,
      • et décliner des consignes qui nous viennent d’à-peu-près tous les ministères, et ces consignes sont forcément évolutives avec un virus si peu connu auparavant.

      Cela se traduit par de nombreuses réunions en audio ou visioconférence, et un travail quotidien fastidieux de lecture d’innombrables mails et foires aux questions. Or cette crise a aussi la particularité d’être longue. Pas question de s’épuiser dès le début : il faut tenir, longtemps, et donc ménager les forces des équipes comme ses propres forces.

       

      Ceci étant posé, comment fait-on ?

      Pour ce qui me concerne le premier mot clé est : l’organisation. Elle doit, comme pour toutes les crises, être adaptée à ses enjeux spécifiques. Dans le Tarn j’ai pris l’option d’une spécialisation des sous-préfets par domaine d’activité, qui ont constitué auprès d’eux des équipes dédiées :

      • le secrétaire général supervise tout ce qui a trait au plan de continuité des services de l’État (comprenant la mobilisation de la relève), et aux actions de soutien à l’économie (dans son aspect défensif pour éviter les faillites, puis offensif avec le plan de relance) ;
      • le sous-préfet de Castres supervise tout ce concerne les services essentiels à la population (déchets, poste, notamment) et aux problématiques funéraires ;
      • le directeur de cabinet supervise l’action régalienne des forces de l’ordre et celle de la cellule de crise qui, au sein du cabinet, est le point d’entrée de toutes les sollicitations et qui gère la communication grand public. L’activité sur les réseaux sociaux est dense.
      • le stagiaire ENA prend en charge tout ce qui a trait à la récupération/distribution des équipements de protection rares, en lien avec l’ARS ;
      • en avance de phase sur la réforme prévue de l’organisation territoriale de l’État, c’est l’inspecteur d’académie qui pilote, sur la base de principes que nous arrêtons ensemble, toutes les questions d’accueil des enfants, en temps scolaire comme péri et extra-scolaire.

      À mon niveau, une courte réunion rituelle par jour suffit à coordonner l’ensemble de ces domaines. Une fois par semaine, une réunion avec tous les chefs de services de l’État permet de partager les grands enjeux des jours à venir et deux fois par mois, avec les grands élus, pour tenter d’aligner tout le monde sur la même logique d’action. Tous les autres échanges se font au fil de l’eau, et l’organisation du travail d’équipe évolue de manière agile en fonction des difficultés à surmonter.

      Le deuxième mot clé : réfléchir. Malgré la surchauffe et les urgences à traiter, il faut trouver le temps de l’analyse posée des risques, des forces, des faiblesses, et tenter d’anticiper les difficultés à venir. C’est pour trouver le temps de « lever le nez du guidon » que le nombre de réunions rituelles doit être limité. S’agissant d’une crise sanitaire, c’est avec le directeur départemental de l’ARS que je me livre, chaque soir avec mon directeur de cabinet, à cet exercice de bilan/anticipation. Et j’ai, dès le début mars, pris le parti d’élargir ce petit cercle restreint de réflexion à l’inspecteur d’académie. À quatre on est plus intelligent qu’à 3.

      Le troisième mot clé : la qualité relationnelle. En temps de crise, toutes les tensions entre les services ou les acteurs sont exacerbées, mais si les relations sont bonnes, les liens se renforcent dans un esprit de solidarité et de convivialité pour surmonter les contrariétés, les tensions, et la fatigue. Soigner le relationnel avant la crise est la clé du succès de la gestion de crise.

      Au final, que l’on soit ou non en situation de crise, les leviers pour le préfet sont les mêmes : réfléchir avant d’agir, gérer son temps et ménager celui de ses collaborateurs, créer une ambiance de travail sereine et collaborative, écouter les acteurs de terrain, animer avec eux des dynamiques partenariales, expliquer, comprendre, évaluer les impacts, les besoins et l’état d’esprit de la population, s’appuyer enfin sur tout le réseau de l’appareil d’État pour lever les difficultés dépassant ses propres moyens. Nous agissons dans l’ombre, mais ensemble.

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